Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/215

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copie du Jugement dernier de Michel-Ange ? Il a bâillé, il s’est récrié, il s’est moqué de nous, il a déclaré qu’il aimait mieux le Jugement dernier de l’Anglais Martin. Au moins, disait-il, la scène y est, tout le ciel et toute la terre, le ciel fendu par la foudre, le pêle-mêle des morts innombrables qui, à perte de vue, par légions, sortent de leurs sépulcres sous la lumière surnaturelle de la dernière nuit et du dernier jour. Ici il n’y a ni ciel, ni terre, ni abîme, ni air, mais deux ou trois cents corps qui prennent des attitudes, — À quoi tu as répondu que Michel-Ange ne peignait ni le ciel, ni la terre, ni l’air, ni les abîmes, qu’il ne prenait point pour personnages l’infinité et la lumière surnaturelle, qu’il était sculpteur et avait pour seul moyen d’expression le corps humain, qu’il faut considérer sa fresque comme une sorte de bas-relief où le grandiose et la fierté des attitudes remplacent le reste, et que si aujourd’hui dans cette tragédie suprême nous donnons le premier rôle à l’espace, aux éclairs, à la fourmilière indistincte des figurines humaines, on le donnait alors à quelques colosses tragiquement drapés ou tordus.

D’où vient ce changement ? Et pourquoi prenait-on alors tant d’intérêt aux muscles ! C’est qu’on les regardait. J’ai relu dans les écrivains du temps les détails de l’éducation et les violences des mœurs au seizième siècle ; quand on veut comprendre un art, il faut regarder l’âme du public auquel il s’adressait.

« Je veux, dit Castiglione en traçant le portrait de l’homme accompli, que notre homme de cour soit un parfait cavalier à toute selle, et comme c’est un mérite particulier des Italiens de bien gouverner le cheval à la bride, de manœuvrer par principes surtout les chevaux