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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/219

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il fit étrangler le dit jeune homme… Il tua encore son frère, le duc de Gandie, et le fit jeter dans le Tibre. » Et comme on demandait au pêcheur qui avait vu la chose pourquoi il n’en avait rien dit au gouverneur de la ville, cet homme répondit « qu’en sa vie il avait vu, à différentes nuits, jeter plus de cent corps au même endroit, sans que personne en eût jamais pris souci. »

Tout cela prend corps et relief lorsqu’on lit les mémoires de Cellini. Aujourd’hui nous nous sommes si bien remis aux mains de l’État, et nous comptons tellement sur le juge et sur le gendarme, que nous avons peine à comprendre le droit naturel de guerre par lequel, avant l’établissement des sociétés régulières, chacun se défend, se venge et se satisfait. En France, en Espagne, en Angleterre, les bêtes féroces de la féodalité trouvaient dans l’honneur féodal, sinon une bride, du moins une borne ; le duel remplaçait les guerres privées : on se tuait le plus ordinairement selon les règles, devant témoins, en un lieu choisi. Ici l’instinct du meurtre se lâchait dans les rues. On ne peut pas énumérer toutes les violences racontées par Cellini, non pas seulement les siennes, mais celles des autres. Un évêque à qui il ne voulait pas livrer un vase d’orfèvrerie envoie des gens pour saccager sa maison ; lui, l’arquebuse à la main, se barricade. — « Pendant son séjour à Rome, le Rosso, ayant décrié les ouvrages de Raphaël, les élèves de cet illustre maître voulaient absolument le tuer. » — Vasari, couchant avec l’apprenti Manno, « lui écorcha une jambe avec les mains, croyant se gratter lui-même, car jamais il ne se taillait les ongles ; » sur quoi « Manno était décidé à le tuer ». — Le frère de Cellini, apprenant que son élève Bertino