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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/221

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naro trouvent cela très-bien. Pour le pape, dit Cellini après un de ces meurtres, « il me lança un regard menaçant qui me fit trembler ; mais dès qu’il eut examiné mon ouvrage, son visage commença de se rasséréner. » Et comme une autre fois on accusait Cellini : « Apprenez, répliqua le pape, que les hommes uniques dans leur profession, comme Benvenuto, ne doivent pas être soumis aux lois, et lui moins que tout autre, car je sais combien il a raison. » Voilà la morale publique. Et cependant le motif de ces guet-apens est aussi mince que possible. Luigi, son ami, avait pris pour maîtresse Pentesilea, une courtisane dont lui, Cellini, n’avait pas voulu, et que pourtant il l’avait prié de ne pas prendre. Furieux, il se place en embuscade, tombe sur eux à coups d’épée, les blesse, ne les trouve pas assez punis, et conte avec satisfaction leur mort, qui ne tarda guère. En fait de morale privée, il a des visions mystiques quand il est en prison ; son ange gardien lui apparaît, il s’entretient avec un esprit invisible ; il a des transports de dévotion : c’est l’effet de la solitude et de la réclusion sur de pareilles têtes. Du reste, en liberté, il est bon chrétien à la mode du temps ; son Persée ayant réussi, « je partis, dit-il, en chantant des psaumes et des hymnes à la gloire de Dieu, ce que je continuai à faire pendant tout ce voyage. » On trouve des sentiments pareils chez le duc de Ferrare ; « ayant été atteint d’une grave maladie qui l’empêcha d’uriner pendant quarante-huit heures, il eut recours à Dieu, et voulut qu’on payât tous les appointements échus. » Telle est aussi la conscience de l’un de ses prédécesseurs, Hercule d’Este, qui, au sortir d’une orgie, allait chanter l’office avec sa troupe de musiciens français, qui fai-