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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/223

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trois personnages regardaient de la fenêtre « avec de grands rires et une grande satisfaction ; » des vivandières en rougiraient. On ne s’est point encore poli ; la crudité n’effarouche personne ; les poëtes comme Berni, les conteurs comme l’évêque Bandello, expliquent avec détails précis les événements les plus risqués. Ce que nous appelons le bon goût est l’œuvre des salons, et ne naîtra que sous Louis XIV. Ce que nous appelons la décence ecclésiastique est un contre-coup de la réforme et ne s’établira qu’au temps de saint Charles Borromée. Les instincts corporels étalent encore toute leur nudité à la lumière, et ni le raffinement du monde, ni les convenances de l’habit ne sont venus tempérer ou déguiser la fougue intacte des sens déchaînés. « Parfois, dit Cellini, il advint qu’en pénétrant à l’improviste dans les pièces secrètes je surpris la duchesse » dans une occupation qui n’avait rien de royal… « Alors elle se mettait contre moi en de telles rages que j’en étais épouvanté. » Un jour, à la table du duc, il se prend de querelle avec le sculpteur Bandinelli, qui lui jette au nez la plus grossière injure. Par miracle il se retient, mais un instant après il lui dit : « Je te déclare expressément que si tu n’envoies pas le marbre chez moi, tu peux chercher un autre monde, car, coûte que coûte, je te crèverai le ventre dans celui-ci. » Les gros mots trottent comme dans Rabelais, et des saletés de cabaret, de dégoûtantes plaisanteries d’ivrogne viennent éclater jusque dans un palais. « Ah ! pourceau, m’écriai je, manant, bourrique, c’est donc le seul bruit que ton talent puisse faire ! En même temps je sautai sur un bâton. » Cellini affiche quatre vers sur cette aventure, et le duc et la duchesse se mettent à rire. Aujourd’hui