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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/227

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à cheval vêtus de longues robes, entouraient les chars où les grands personnages de Rome apparaissaient parmi les insignes de leur dignité et les monuments de leurs exploits. Par leurs fières nudités, leurs vaillantes attitudes et leurs nobles draperies flottantes, les figures peintes et sculptées imprimaient un accent encore plus païen dans cette procession païenne, et enseignaient l’énergie et l’allégresse à leurs compagnons vivants, qui, aux sons des trompettes, aux acclamations de la foule, s’étalaient à cheval ou sur des chais. Ce généreux soleil qui luisait au-dessus de leurs tètes revoyait enfin un monde pareil à celui qu’il avait éclairé jadis à la même place, je veux dire le même sentiment profond de joie naturelle et poétique, le même épanouissement de force saine et complète, le même souffle d’éternelle jeunesse, le même triomphe et le même culte de la beauté. Et quand, après avoir contemplé ce large déploiement de splendeurs et d’armures, parmi le chatoiement des étoffes ondoyantes, parmi les scintillements des écharpes argentées, parmi les fauves reflets de l’or tressé en fleurs et déroulé en arabesques, les spectateurs virent sur le dernier char, du milieu d’une pyramide de ligures vivantes, à côté d’un laurier verdissant, se lever l’enfant nu qui représentait la renaissance de l’âge d’or, ils purent croire un instant qu’ils avaient ranimé la noble antiquité disparue, et qu’après un hiver de quinze siècles la plante humaine allait fleurir tout entière une seconde fois.

Voilà les spectacles qu’on avait tous les jours dans une ville d’Italie ; c’était là le luxe des princes, des cités, des corporations. Des mains, des yeux et du cœur, le moindre artisan y prenait part. Le sentiment des bel-