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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/228

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les formes, des grandes ordonnances, des ornements pittoresques, était populaire. Un charpentier le soir en parlait à sa femme ; on en discutait au cabaret, devant l’établi ; chacun prétendait que la décoration à laquelle il avait travaillé était la plus belle ; chacun avait ses préférences, ses jugements, son artiste, comme aujourd’hui les élèves d’un atelier. Il arrivait de là que le peintre et le statuaire parlaient non-seulement à quelques critiques, mais à tout le monde. Aujourd’hui, que nous reste-t-il des anciennes pompes poétiques ? La descente de la Courtille, où hurlent des ivrognes sales, et le cortège du bœuf gras, où grelottent six pauvres diables en maillot rose parmi les haussements d’épaules et les quolibets. Les mœurs pittoresques se sont réduites à deux parades de rues, et les mœurs athlétiques aux luttes de foires où des hercules payés à dix sous l’heure se démènent devant des hommes en blouse et des soldats. Ces mœurs étaient la température vivifiante qui de toutes parts faisait germer et fleurir la grande peinture. Elles ont disparu, et partant nous ne pouvons plus la refaire. Tout au plus un peintre, en s’enfermant dans son atelier avec des vases antiques, en se nourrissant d’archéologie, en vivant parmi les plus purs modèles de la Grèce et de la renaissance, en se séquestrant de toutes les idées modernes, peut arriver, à force d’étude et d’artifice, à reformer autour de son esprit une température semblable. Nous avons vu des prodiges de ce genre, un Overbock, qui, communiant, jeûnant, se cloîtrant à Rome, croit retrouver les figures mystiques d’Angelico de Fiesole, — un Gœthe, qui, s’étant fait païen, ayant copié les torses antiques, muni de toutes les ressources que l’érudition, la philosophie, l’observation et