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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/237

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plice d’Aman, une population de figures tragiques. On se couche sur le vieux tapis qui couvre le plancher, et l’on regarde. Elles ont beau être à cent pieds de haut, enfumées, écaillées, étouffées les unes par les autres, situées au delà de toutes les habitudes de notre peinture, de notre siècle et de notre esprit : on les entend d’abord. Cet homme est si grand, que les différences de temps et de nation ne subsistent pas devant lui. La difficulté n’est pas de subir son ascendant, mais de s’en expliquer la puissance. Quand, après avoir livré ses oreilles à cette voix tonnante, on s’est retiré, reposé, mis à distance, de façon à ne plus en sentir que le retentissement, quand on a laissé la réflexion succéder aux sensations et qu’on cherche par quel secret il donne un accent si vibrant à sa parole, on arrive à se dire qu’il avait l’âme de Dante et qu’il a passé sa vie à étudier le corps humain : ce sont ses deux origines. Le corps tel qu’il le fait est tout entier expressif, squelette, muscles, draperie, attitude et proportions, en sorte que le spectateur est ébranlé à la fois par toutes les parties du spectacle. Et ce corps exprime l’emportement, la fierté, l’audace, le désespoir, l’âpreté de la passion effrénée ou de la volonté héroïque, en sorte que le spectateur est ébranlé par les plus fortes des impressions. L’énergie morale transpire par tout le détail physique, et corporellement d’un seul choc nous en sentons le contre-coup.

Regardez Adam endormi auprès d’Eve, que Jéhovah vient de tirer de lui. Nulle créature n’a jamais été ensevelie plus avant dans un plus profond sommeil de mort. Son corps énorme est affaissé, et son énormité rend l’affaissement encore plus frappant. Au réveil,