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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/238

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VOYAGE EN ITALIE.

ces bras pendants, ces cuisses inertes, écraseront un lion dans leur étreinte. — Dans le Serpent d’airain, l’homme qui, serré à mi-corps par un serpent, l’arrache avec son bras reployé et se tord en écartant les cuisses, fait penser aux luttes des premiers humains contre les monstres dont les croupes limoneuses ont labouré le sol antédiluvien. Les corps entassés, mêlés les uns dans les autres et renversés les talons en l’air, les bras arc-boutés, les échines convulsives, frémissent sous l’enlacement des reptiles ; les gueules hideuses font craquer les crânes, viennent se coller contre les lèvres hurlantes ; les cheveux hérissés, la bouche ouverte, des misérables tressaillent à terre pendant que leurs pieds battent furieusement au hasard dans le fouillis humain. — Un homme qui manie ainsi le squelette et les muscles met de la colère, de la volonté, de l’effroi dans un pli de la hanche, dans la saillie d’une omoplate, dans l’affleurement d’une vertèbre ; entre ses mains, tout l’animal humain se passionne, agit et combat. Quels misérables mannequins en comparaison que les fresques graves, les processions immobiles qu’on a laissées subsister au-dessous de lui ! Elles subsistent comme des marques anciennes imprimées sur le quai d’un fleuve et par lesquelles on peut voir de quels torrents le fleuve s’est accru et s’est enflé. Seul depuis les Grecs, il a su tout ce que valent des membres. Pour lui comme pour eux, le corps vit par lui-même et n’est pas subordonné à la tête. Par la force du génie et de l’étude solitaire, il a retrouvé ce sentiment du nu dont la vie gymnastique les avait imbus. Devant son Ève assise qui se tourne à demi le pied reployé sous la cuisse, on imagine involontairement la détente de la jambe qui soulèvera ce