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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/247

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ment fatigué, plus tourné vers les choses du dedans.

Une seconde remarque, c’est que notre grand seigneur est antiquaire. Outre deux galeries et un portique circulaire plein de statues antiques, il y a ici des morceaux de sculpture de toute sorte répandus dans tout le jardin, cariatides, torses, bustes colossaux, dieux, colonnes surmontées de bustes, urnes, lions, grands vases, socles, débris innombrables souvent brisés ou mutilés. Même, afin de tout mettre à profit, on a incrusté dans un mur quantité de restes informes. Quelques-unes de ces sculptures, une cariatide, un masque d’Antinoüs, des statues d’empereurs, sont belles ; mais la plupart sont un ramassis singulier. Beaucoup appartenaient certainement à de petits municipes, à des maisons particulières ; déjà chez les anciens c’étaient des œuvres de pacotille, ce qui subsisterait chez nous si, après un long enfouissement, on retrouvait des statues d’escalier et des bustes d’hôtel de ville ; ce sont des documents de musée plutôt que des œuvres d’art. On n’orne ainsi sa maison que par pédanterie ; le bric-à-brac est un goût de vieillard, c’est le dernier qui ait subsisté en Italie. La littérature morte, on faisait encore des dissertations sur un vase ou sur des monnaies ; parmi les sonnets galants et les phrases d’académie, quand tout effort d’esprit était interdit ou amorti, dans le grand vide du dernier siècle, on gardait, comme au temps de Politicien et de Laurent de Médicis, l’ancien goût et la curiosité archéologique. Cette sorte d’emploi détourne l’esprit des grandes questions ; un prince absolu, un cardinal peut le favoriser, occuper ainsi ses heures vides, se donner un air de connaisseur et de Mécène, mériter des épîtres dédicatoires, des frontispi-