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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/249

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nes, sont du même goût. De superbes chênes-verts lèvent sur une terrasse leurs pilastres monstrueux et le dôme toujours vert de leur feuillage monumental. Des allées de platanes s’allongent et s’enfoncent comme un portique. De hauts cyprès silencieux collent leurs branches noueuses contre leur écorce grise et montent d’un air grave, monotone, en pyramides. Des aloès dressent contre la paroi blanche des murailles leur tige étrange, pareille à un serpent convulsif hérissé par la lèpre. Au delà de l’enceinte, sur les coteaux voisins, un péle-mèle de constructions et de pins s’élève et descend selon les mouvements du terrain. À l’horizon ondule la ligne âpre et cassée des montagnes ; une surtout, bleuâtre comme un nuage chargé de pluie, lève son triangle qui bouche un pan du ciel. De là les yeux reviennent sur la suite d’arcades rondes qui forment le portique tournant, sur les balustrades et les statues qui diversifient la crête du toit, sur les colonnes jetées çà et là, sur les rondeurs et les carrés des viviers et des haies. Dans cet encadrement de montagnes, cela fait justement un paysage comme ceux de Pérelle, et correspond à un état d’esprit dont un homme moderne, surtout un homme du Nord, n’a aucune idée. Les gens d’aujourd’hui sont plus délicats, moins capables de goûter la peinture, plus capables de goûter la musique ; ceux-ci avaient encore des nerfs rudes et des sens tournés vers le dehors ; ils ne sentaient pas l’âme des objets extérieurs, ils n’en goûtaient que la forme. Les paysages savamment choisis et disposés leur donnaient la même sensation qu’un appartement haut et ample, solidement bâti et bien décoré : cela leur suffisait, ils n’avaient point de conversation avec un arbre.