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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/25

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traction puis-je trouver au milieu des cinq mille marchands de Civita-Vecchia ? Il n’y a là de poétique que les douze cents forçats ; impossible d’en faire ma société. Les femmes n’ont qu’une seule pensée, celle de se faire donner un chapeau de France par leur mari. » Il reste encore ici un ami de Stendhal, un archéologue : à ce titre, il passe pour libéral ; depuis vingt ans il n’a pu obtenir la permission d’aller passer trois heures à Rome.

Çà et là dans les rues, sur les places, s’étale la vie méridionale. Un chaudronnier, des cordonniers ambulants travaillent en plein air. — Des gamins, pieds nus, le museau barbouillé, jouent aux cartes sur une charrette. — À l’angle d’une ruelle ignoble, sous un bec de lampe, une madone entourée de cierges, de fleurs, de couronnes, de cœurs coloriés, sourit sous son verre, et les passants se signent. — Deux pêcheurs arrivent sur la place avec trois corbeilles ; un marché s’improvise, vingt personnes s’assemblent alentour avec curiosité comme devant un spectacle, gesticulant et fumant ; des demi-messieurs emportent leur poisson dans leur foulard. — Une quantité de polissons déguenillés et de grands gaillards drapés dans leurs manteaux noirs ou bruns vaguent dans les coins, respirent l’odeur des fritures, regardent la mer ; certainement il y a dix ans qu’ils couchent par terre dans leur manteau, jugez de la teinte ; l’orteil perce à travers les souliers crevés. Le pantalon a passé cinq ou six fois à travers les couleurs claires et sombres, du gris au noir, du noir au brun, du brun au jaune, troué de plus et rapiécé ; on ne saurait trouver une chose plus composite. Cela leur est indifférent ; ils flânent philosophiquement, en contem-