Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

privilèges, c’est-à-dire le pouvoir et le droit d’être en certains cas au-dessus de la loi. Cent ans plus tard, De Brosses écrit encore que « l’impunité est assurée à quiconque veut troubler la société, pourvu qu’il soit connu d’un grand et voisin d’un asile. » — « Tout est asile ici, les églises, l’enceinte du quartier d’un ambassadeur, la maison d’un cardinal, si bien que les pauvres diables de sbires (ce sont les archers) de la police sont obliges d’avoir une carte particulière des rues de Rome et des lieux où ils peuvent passer en poursuivant un malfaiteur. »

Un grand vit dans son palais comme un baron féodal dans son château. Ses fenêtres sont grillées de barreaux entre-croisés, boulonnés, qui résisteront au levier et à la hache ; les moellons de sa façade sont longs comme la moitié d’un homme, et ni les balles ni la pioche ne mordront sur leur masse ; les murailles de ses jardins sont hautes de trente pieds, et on ne se hasardera pas aisément à attaquer les blocs du revêtement ou des encoignures. Au reste, le parc est assez grand pour contenir une petite armée ; dans les antichambres et les galeries, deux ou trois cents habits galonnés seront à l’aise ; on les logera sans difficulté dans les combles. Quant aux recrues, elles ne manqueront pas. Ainsi qu’au moyen âge, les faibles, pour subsister, sont contraints de se recommander aux forts : « Monseigneur, dit le pauvre homme, comme mon père et mon grand-père, je suis serviteur de votre famille. » Ainsi qu’au moyen âge, le fort, pour se soutenir, est tenu d’enrégimenter autour de soi les faibles. « Voilà un habit et tant d’écus par mois, dit l’homme puissant, marche à côté de mon carrosse, dans les entrées et les cérémo-