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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/260

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population de gens d’épée, domestiques nobles choisis pour la décoration et la dépense, qui font cortège au maître pendant ses visites, garnissent ses antichambres pendant ses réceptions, montent dans ses carrosses, logent dans ses mansardes, mangent dans ses cuisines, assistent à son lever et vivent seigneurialement, ayant pour tout emploi le soin de faire durer leur habit brodé le plus longtemps possible et de défendre tout haut l’honneur de la maison.

Comment nourrir ces gens-là ? Notez qu’il faut les nourrir : on a besoin d’eux pour se faire respecter ; Rome n’est pas sûre. À la mort d’Urbain VIII, pendant le conclave, dit un contemporain, la société semble dissoute. « Il y a tant de gens armés dans la ville, que je ne me rappelle pas en avoir jamais vu autant. Il n’y a aucune maison un peu riche qui ne se munisse d’une garnison nombreuse de soldats. Si on les réunissait tous, on en ferait une grande armée. Les voies de fait ont dans la ville toute impunité, toute licence ; il y a des hommes tués dans tous les endroits ; la parole qu’on entend le plus souvent est celle-ci : Tel ou tel, homme connu, vient d’être tué. » Une fois que le pape est nommé, les neveux du précédent ont fort à faire : on veut leur faire rendre gorge, leurs ennemis leur intentent des procès, souvent ils sont obligés de s’enfuir. Parmi tant de dangers, on est bien forcé d’avoir un parti, des créatures, une clientèle, un cortège d’épées fidèles et toujours prêtes. Rome n’a point fait le pas qui sépare le moyen âge des temps modernes : la sécurité, la justice y manquent ; ce n’est point un État, encore moins une patrie ; chacun est tenu de s’y protéger lui-même par force ou par ruse ; chacun a ses