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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/268

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l’empire. Vous jetez les yeux en passant par une fenêtre, vous apercevez de grands murs mornes, des pavés rongés de mousses, des corniches de toit mutilées ou lépreuses. Enfin reparaissent les figures humaines, un ou deux huissiers ; on est annoncé, et l’on voit devant soi un homme fort simple, en redingote, dans un fauteuil moderne, dans une chambre plus petite que les autres, arrangée à peu près comme il faut pour être commode et tenir chaud. S’il y a au monde une habitation triste et qui soit en désaccord avec les mœurs modernes, c’est la sienne ; regardez en manière de contraste, au sortir de là, un hôtel rafraîchi, comme on en trouve quelques-uns dans la petite noblesse, une maison d’artiste, comme il y en a aux environs de la place d’Espagne, avec ses tapis, ses jardinières de fleurs, ses élégances multipliées et toutes neuves, les charmantes et innombrables inventions de son bien-être, ses dimensions médiocres et commodes, tout ce qu’elle enferme de coquet, de brillant, de confortable et d’agréable. Au contraire, il faudrait dans le palais soixante laquais chamarrés et quatre-vingts gentilshommes à gages : ce sont les meubles naturels de pareilles salles ; les cours redemandent les cent chevaux et les vingt carrosses des anciens maîtres ; les vaisselles, les tapisseries, les millions d’argent comptant devraient venir ici, comme sous les papes de l’avant-dernier siècle, pour redorer ou renouveler l’ameublement. Les tableaux eux-mêmes, tous ces grands corps en mouvement, tant de superbes nudités pendues aux murailles, ne sont plus que des monuments d’une vie éteinte, trop voluptueuse et trop corporelle pour le temps présent. L’aristocratie romaine ressemble à un lézard niché dans la carapace d’un cro-