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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/269

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codile antédiluvien, son grand-père ; le crocodile était beau, mais il est mort.



Palais Farnèse.


De tous ces fossiles, le plus grand, le plus imposant, le plus noble, le plus sévèrement magnifique est, à mon gré, le palais Farnèse. Il est dans un vilain quartier ; on passe pour y arriver aux environs du palais Cenci, si délabré et si morne ; cinq minutes auparavant j’avais traversé le Ghetto des Juifs, vrai cloaque de parias où des ruelles tortues s’enchevêtrent parmi des ruisseaux fétides, parmi des maisons dont la façade ventrue, disloquée, semble une hernie d’hydropique, parmi de noires cours suintantes, parmi des escaliers de pierre dont le boyau s’entortille autour d’un mur encrassé par la saleté séculaire. Des figures laides, courtes, blafardes, y fourmillent comme des champignons poussés sur des décombres.

L’esprit plein de ces images, on arrive : seul au milieu d’une place noirâtre se dresse l’énorme palais, massif et haut comme une forteresse, capable de recevoir et de rendre la fusillade. Il est de la grande époque ; ses architectes, San-Gallo, Michel-Ange, Vignole, surtout le premier, y ont imprimé le véritable caractère de la renaissance, celui de la vigueur virile. Véritablement il est parent des torses de Michel-Ange, et l’on y sent l’inspiration du grand âge païen, âge de passions tragiques et d’énergie intacte que la domination étrangère et la restauration catholique allaient amollir et dégrader. Au dehors, c’est un carré colossal, presque dépourvu d’ornements, à fortes fenêtres grillées ; il faut