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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/27

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descendent, tordant leur lit, puis s’étalent en flaques ; la mer les repousse ; cela fait un pays malsain, hostile à l’homme. Quelques chevaux libres, des bœufs noirs, aux longues cornes, paissent sur les pentes ; on se dirait dans les landes de Gascogne. De temps en temps on voit le long du wagon un bois de grands arbres gris, dénudés, mélancoliques comme des malades.

Voici enfin la campagne de Rome ; rien que des collines nues, sans arbres ni arbustes, avec un mauvais tapis d’herbes vieilles et jaunâtres ; point d’aqueducs encore, rien qui rompe la monotonie lugubre ; puis des jardins, des haies d’épine noire liées par de grands joncs blanchâtres, des plantes potagères, des dômes à l’horizon, un vieux rampart de briques et de bastions noircis, un long aqueduc comme un mur immense, Sainte-Marie-Majeure avec un campanile et deux dômes. Au débarcadère, une cohue de fiacres, des criailleries de cochers, de conducteurs, de guides, qui à toute force s’approprient votre bagage et votre personne, un flot roulant de figures hétéroclites. Anglais, Allemands, Américains, Français, Russes, tous se heurtant, s’entassant, se renseignant avec tous les accents et dans toutes les langues ; sur tout le trajet jusqu’à l’auberge, l’aspect d’une ville de province, mal tenue, mal rangée, baroque et sale, avec des rues étroites et boueuses, avec des taudis, des galetas, des fritures en plein vent, du linge qui sèche aux cordes, et quantité de hautes maisons monumentales, dont les fenêtres treillissées, les grillages énormes, les barreaux croisés, boulonnés, multipliés, donnent l’idée d’une forteresse et d’une prison.