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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/273

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est le plus profond, le plus pensif de tous les peintres, un penseur raffiné qui a des curiosités, des caprices, des délicatesses, des exigences, des sublimités, peut-être des tristesses au delà de tous ses contemporains. Il a été universel, peintre, sculpteur, architecte, machiniste, ingénieur ; il a deviné les sciences modernes, pratiqué et marqué leur méthode avant Bacon, inventé en toutes choses jusqu’à paraître bizarre aux hommes de son siècle, percé et poussé en avant, à travers les siècles et les idées futures, sans jamais s’enfermer dans un art ni dans une occupation, sans jamais se contenter de ce qu’il savait et pouvait, au contraire dégoûté à l’instant de ce qui aurait suffi à l’amour-propre du plus ambitieux génie, toujours préoccupé de se dépasser lui-même, de renchérir sur ses découvertes, comme un navigateur qui, négligeant le succès, oubliant le possible, s’enfonce irrésistiblement dans l’inconnu et dans l’infini. L’expression de la figure qui représente la Vanité est incroyable. On ne saura jamais toutes les recherches, les combinaisons, les sensations, tout le travail intérieur spontané et réfléchi, tout le chemin parcouru par l’âme et l’esprit, pour arriver à trouver une pareille tête. Elle est bien plus svelte, bien plus noblement élégante que celle de la Monna Lisa, et l’abondance, la recherche de sa coiffure sont extraordinaires. De superbes torsades étagent au-dessus de ses cheveux leurs reflets d’hyacinthe ; d’autres cheveux crépelés descendent jusque sur les épaules. Le visage n’a presque point de chair ; les traits, siège de l’expression, l’occupent tout entier. Elle sourit étrangement, tristement, de ce sourire propre à Vinci, avec la plus singulière supériorité mélancolique et railleuse : une reine, une femme adorée, une déesse