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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/274

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qui aurait tout et trouverait que c’est bien peu, aurait ce sourire.

La salle des paysages est une des plus riches ; elle renferme plusieurs Claude Lorrain, des Locatelli ; un vaste paysage du Poussin représentant saint Mathieu qui écrit auprès d’une grande eau dans une campagne monumentale : toujours le paysage italien, tel qu’on l’entend dans ce pays, c’est-à-dire la villa agrandie, de même que le jardin anglais est la campagne rapetissée. Les deux races, la germanique et la latine, montrent ici leur opposition : l’une aime la nature libre pour elle-même, l’autre ne l’accepte qu’en manière de décoration, pour l’approprier et la subordonner à l’homme. Le plus beau de ces tableaux est le grand paysage du Poussin : une rivière qui tourne, sur la gauche une forêt, sur le devant une colonnade ruinée, en face une tour, dans le lointain des montagnes bleuâtres. Les plans s’étagent ainsi que des architectures, et les taches de couleur sont comme les formes, simples, fortes, sobres et bien opposées. Cette gravité, cette régularité, contentent l’esprit, sinon les yeux ; mais pour y être vraiment sensible il faudrait aimer les tragédies, le vers classique, la pompe de l’étiquette et des grandeurs seigneuriales ou monarchiques. Il y a une distance infinie entre ces sentiments et les sentiments modernes. Qui est-ce qui reconnaîtrait ici la vie de la nature telle que nous la comprenons, telle que la peignent nos poètes, ondoyante, sujette à l’accident, tour à tour délicate, étrange et puissante, expressive par elle-même, et aussi variée que la physionomie de l’homme ?

Autant le palais Sciarra est délabré, autant le palais Doria est magnifique. Entre les familles romaines, la