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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/278

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blessé, évanoui ; l’écuyer est une tête d’académie, l’homme évanoui est copié sur le réel avec des intentions mélodramatiques. — Le second tableau, qui est du Guide, est une madone adorant l’Enfant Jésus ; la madone est une jolie pensionnaire, et le tableau sent déjà la dévotion fade et le voisinage du sacré-cœur. — Le troisième est une pietà d’Annibal Carrache. Son Christ, un beau jeune homme, a une tête distinguée, touchante, qui pourrait plaire à une belle dame. Les petits anges émus se montrent avec attendrissement les trous des pieds, essayent de soulever la main pesante. Ce sont là des recherches ou des gentillesses sentimentales, comme il en faut dans le nouveau piétisme du dix-septième siècle, dans une religion de femmes mondaines et mystiques.

Mais les morceaux les plus frappants sont, je crois, les portraits. L’un, de Véronèse, représente Lucrèce Borgia, en velours noir, le sein un peu découvert, avec des bouillons de dentelle au corsage et aux manches, grosse, déjà mûre, les cheveux retroussés, un front bas, l’air composé et un singulier regard ; telle elle était lorsque Bembo lui adressait les périodes et les protestations de ses lettres cérémonieuses. — L’amiral André Doria, de Sébastien del Piombo, est un superbe homme d’État et de guerre, au geste commandant, au regard calme, et sa grande tête est encore prolongée par une barbe grise. — Une autre tête par Bronzino, celle de Machiavel, éveillée, goguenarde, finit par arriver à l’expression d’un acteur bouffe ; vous diriez d’un finaud qui a l’air de flairer attentivement autour de lui avec des intentions drolatiques. Dans Machiavel, il y a un comique sous l’historien, le philosophe et le politique, et ce