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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/29

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combattaient dans cette enceinte, et l’on prend une idée de la vie romaine.

Cela fait haïr les Romains ; personne n’a plus abusé de l’homme ; de toutes les races européennes, aucune n’a été plus nuisible ; il faut aller chercher les despotes et les dévastateurs orientaux pour leur trouver des pareils. Il y avait là une monstrueuse ville, grande comme Londres aujourd’hui, dont le plaisir consistait à voir tuer et souffrir. Pendant cent jours, plus de trois mois de suite, ils venaient tous les jours ici pour voir tuer et souffrir. Et c’est là le trait propre, distinctif de la vie romaine : le triomphe d’abord, le cirque ensuite. Ils avaient conquis une centaine de nations, et trouvaient naturel de les exploiter.

Sous un pareil régime, les nerfs et l’âme devaient arriver à un état extraordinaire. Nul travail ; on les nourrissait avec des distributions ; ils vivaient oisifs, se promenaient dans une ville de marbre, se faisaient masser dans les bains, regardaient des mimes, des acteurs, et, pour se distraire, allaient contempler la mort et les blessures ; cela les secouait, ils y passaient des journées. Saint Augustin a éprouvé et décrit cet attrait terrible ; tout le reste paraissait fade ; on ne pouvait plus s’en arracher. Au bout d’un temps, parmi ces habitudes d’artistes et de bourreaux, l’équilibre humain s’est renversé, il s’est produit des monstres extraordinaires, non pas seulement des brutes sanguinaires ou des assassins calculateurs comme au moyen âge, mais des curieux et des dilettanti'', des Caligula, des Commode, des Néron, sortes d’inventeurs maladifs, poëtes féroces, qui, au lieu d’écrire ou de peindre leurs fantaisies, les ont pratiquées. Beaucoup d’artistes modernes leur ressemblent,