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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/30

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mais par bonheur ne sortent pas du papier noirci. Alors comme aujourd’hui l’extrême civilisation produisait l’extrême tension et les convoitises infinies. On peut considérer les quatre premiers siècles après le Christ comme une expérience en grand dans laquelle l’âme a recherché par système la sensation excessive. Tout ce qui était moindre lui paraissait plat.

Du centre, quand le gladiateur voyait les cent mille figures et les pouces relevés qui demandaient sa mort, quelle sensation ! C’est celle de l’écrasement sans pitié ni rémission. Ici s’achève le monde antique ; c’est le règne incontesté, impuni, irrémédiable de la force. Comme il y avait des spectacles pareils dans tout l’empire romain, on comprend que sous une pareille machine l’univers soit devenu vide. — De là, et par contraste, le christianisme.

On revient et on regarde. La beauté de l’édifice consiste dans sa simplicité. Les voûtes sont le cintre le plus naturel et le plus solide, avec une bordure unie. L’édifice s’appuie sur lui-même, inébranlable, combien supérieur aux cathédrales gothiques avec leurs contre-forts qui semblent les pattes d’un crabe ! Le Romain trouve son idée suffisante, il n’a pas besoin de la décorer. Un cirque pour cent mille hommes et qui dure indéfiniment, cela est assez. Il agit là comme dans ses inscriptions, dans ses dépêches[1], supprimant les phrases. Le fait parle assez haut et se fait entendre par lui seul. En cela consiste sa grandeur : des actions et non des paroles, une sorte de sereine et hautaine confiance en soi, l’or-

  1. Réponse du sénat au roi d’Illyrie après la victoire de Pydna. (Tite Live.)