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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/309

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sion revient à Rome, celle d’un christianisme mal plaqué sur le vieux paganisme.

Un honnête chartreux tout gris, Alsacien et bonhomme, nous a conduits jusqu’à la fresque du Dominiquin qui est dans le chœur. Cette vaste peinture, qui représente le martyre de saint Sébastien, est d’une extrême beauté, mais vise à l’effet. L’intention visible est de rassembler une quantité d’attitudes ; on y voit un homme à cheval, plusieurs bourreaux penchés en arrière ou en avant, un autre à genoux qui choisit des flèches, une femme toute portée sur une jambe, comme si elle allait courir, une autre à genoux presque sous les pieds du cheval ; tous ces personnages vont se heurter. Au-dessus, les anges, qui apportent une couronne, planent et semblent nager, comme s’ils avaient plaisir à déployer leurs membres. Les chairs sont vivantes, il y a des portions de corps qui rappellent la manière des Vénitiens, en outre plusieurs femmes de la physionomie la plus expressive, partout une sorte de joie et d’éclat répandus dans l’agitation, l’entassement des corps renversés, des draperies qui ondoient, des belles chairs lumineuses. L’effet total est celui d’un grand et riche air de bravoure soigné et réussi. Cette peinture si mondaine est l’accompagnement de la restauration jésuitique.

Le cloître des Chartreux, qui est derrière, a été dessiné par Michel-Ange. Je crois qu’il y a peu de choses au monde aussi grandes et aussi simples ; la simplicité surtout, si rare dans les édifices de Rome, produit une impression unique et qu’on n’oublie pas. Une cour énorme, carrée, solitaire, se découvre tout d’un coup, encadrée de colonnes blanches qui portent de petites