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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/323

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chênes-verts, des cyprès, des pins, illumines par le soleil qui penche.

Je suis resté une heure sur l’escalier du triclinium, sorte d’abside isolée qui borde la place. L’herbe y pousse et descelle les marches ; les lézards sortent des trous et viennent se chauffer au soleil sur le marbre. Nul bruit ; de temps en temps une charrette, quelques ânes, traversent le pavé abandonné. S’il y a au monde un endroit propre à reposer les âmes fatiguées, à les assoupir insensiblement, à les caresser par l’attouchement de rêves mélancoliques et nobles, c’est celui-ci. Le printemps est venu : des lumières jeunes se posent avec un ton doux sur les assises de pierre, le soleil nouveau luit avec une grâce inexprimable, et sa bonté se répand dans l’air attiédi. Les bourgeons sortent de leur enveloppe, et ces grands édifices de pierre, relégués dans un coin oublié de Rome, semblent, comme des exilés, avoir acquis dans leur solitude une sérénité harmonieuse qui atténue leurs défauts et augmente leur dignité. Au premier coup d’œil, la façade est choquante ; ses arcades coupées au milieu comme les appartements trop hauts dont on fait deux étages, ses colonnes empilées, son balustre chargé de saints qui se remuent et s’étalent comme des acteurs pendant un finale, toute la décoration semble emphatique. Au bout d’une heure, les yeux sont habitués, on se laisse gagner aux impressions de bien-être et de beauté qui sortent de toutes choses ; on trouve l’église riche et solide, on pense aux processions pontificales qui, à des jours réglés, se déploient sous sa voûte, et on la compare à quelque arc de triomphe érigé pour recevoir dignement le César spirituel, successeur des Césars romains.