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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/322

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que depuis deux cents ans on entend le culte en Italie.

Toutes ces idées s’effacent lorsque de l’entrée on contemple la majestueuse ampleur de la grande nef, toute blanche sous l’or de sa voûte. Le soleil, qui baisse, traverse les fenêtres et s’abat sur le parvis en grandes chutes de lumière. L’abside, sillonnée de vieilles mosaïques, courbe ses rondeurs d’or et de pourpre entre les blancheurs éblouissantes des rayons lancés comme des poignées de dards. On avance, et tout à coup, du péristyle, l’on voit se déployer l’admirable place. Il n’y a rien d’égal à Rome, et l’on ne peut imaginer un spectacle plus simple, plus grave et plus beau : d’abord la place en pente, énorme, déserte ; au delà, une esplanade où l’herbe pousse, puis une longue allée verte où s’allongent des files d’arbres sans feuilles ; tout à l’extrémité, sur le ciel, une grande basilique, Santa-Croce, avec son campanile brun et ses toits de tuile. On n’a pas l’idée d’un tel déploiement d’espace si bien peuplé, d’une solitude si calme et si noble. Les paysages qui l’encadrent sur les deux flancs l’ennoblissent encore. Sur la gauche se hérisse un entassement rougeâtre d’arcades ruinées, de massifs démantelés, la vieille ceinture disloquée de la muraille de Bélisaire. Sur la droite se développe la large campagne, au milieu un aqueduc éclairé, dans le lointain des montagnes rayées et bleuâtres, marbrées de grandes ombres, et çà et là tachetées de villages blancs. L’air lumineux enveloppe toutes ces grandes formes ; le bleu du ciel est d’une douceur et d’un éclat divins, les nuages y nagent pacifiquement comme des cygnes, et de toutes parts, entre les briques roussies, sous les créneaux disjoints, au milieu du réseau des cultures, on voit se lever en bouquets des