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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/335

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tres, on a horreur de l’éclat ; point d’énergie brutale : on se mine et on se contre-mine avec des manœuvres savantes et des chausse-trapes creusées dix ans d’avance.

Comme l’initiative et l’action sont nuisibles et mal vues, la paresse est en honneur. Quantité de gens vivent à Rome on ne sait comment, sans revenu ni métier. D’autres gagnent dix écus par mois et en dépensent trente ; outre leur place visible, ils ont toute sorte de ressources et d’expédients. D’abord le gouvernement fait pour deux ou trois cent mille écus d’aumônes, et chaque prince ou noble se croit obligé à la charité par rang et tradition : tel donne six mille écus par an. Comptez encore qu’il y a des buona mancia partout ; certaines gens portent quinze placets par jour, et sur quinze un ou deux réussissent ; le pétitionnaire peut dîner le soir, et voilà un métier tout trouvé. Ce métier a ses suppôts ; à cet effet, on voit des écrivains publics en plein vent, le chapeau sur la tête, un parapluie à côté d’eux, leurs papiers maintenus par de petits pavés, écrivant des suppliques. Enfin, dans cette misère universelle, tout le monde s’assiste ; un mendiant n’est pas un homme déclassé, un galérien non plus ; ce sont d’honnêtes gens, aussi honnêtes que les autres, seulement il leur est arrivé malheur : sur cette réflexion, les plus pauvres donnent quelques baïoques. Ainsi s’entretient la fainéantise ; dans la montagne, du côté de Frascati, je trouvai à chaque pâturage un homme ou un enfant pour ouvrir la barrière ; aux portes des églises, un pauvre diable s’empresse de vous lever la portière de cuir. Ils attrapent ainsi cinq sous, six sous par jour, dont ils vivent.