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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/341

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selon la règle économique de l’offre et de la demande, sa valeur diminue d’autant, et même devient nulle ; à ce taux-là une femme peut l’employer en génuflexions et en phrases.

Ils se sont accommodés à cette vie, qui nous semble si réduite et presque morte. Faute de lectures et de voyages, ils ne font pas de comparaison ni de retour sur eux-mêmes ; les choses ont toujours été ainsi, elles seront toujours ainsi : une fois acceptée, cette nécessité ne paraît pas plus étrange que la malaria. D’ailleurs beaucoup de circonstances contribuent à la rendre supportable. On vit ici à très-bon marché : un ménage qui a deux enfants et une servante dépense 2 500 francs ; 3 000 francs sont autant que 6 000 à Paris. On peut sortir en casquette, en habit râpé ; personne ne contrôle autrui, chacun songe à prendre du plaisir ; les fredaines sont tolérées ; ayez votre billet de confession, fuyez les libéraux, faites preuve de docilité et d’insouciance, vous trouverez le gouvernement patient, accommodant, d’une indulgence paternelle. Enfin les gens d’ici ne sont pas exigeants en fait de bonheur ; une promenade le dimanche en bel habit à la villa Borghèse, un dîner dans une trattoria à la campagne, voilà une perspective qui défraye leurs rêves pour une semaine. Ils savent flâner, bavarder, se contenter du peu qu’ils ont, savourer une bonne salade fraîche, jouir d’un verre d’eau bien pure dégustée en face d’un bel effet de lumière. De plus il y a chez eux un fond de bonne humeur ; ils croient qu’il faut passer son temps agréablement, que l’indignation inutile est une sottise, que la tristesse est une maladie ; leur tempérament va vers la joie, comme une plante vers le soleil. À la bonne humeur joignez la bonhomie.