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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/342

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Un prince parle familièrement à ses domestiques, rit avec eux ; un paysan des environs, pour qui vous êtes une sorte de seigneur, vous tutoie sans difficulté ; un jeune homme du monde décrit et détaille une jeune fille du monde comme si elle était sa maîtresse. Le sans-gêne est complet ; ils ne connaissent pas les petites contraintes de notre société, la réserve et la politesse.

Souhaitent-ils vivement devenir Italiens ? Oui et non. Mes amis prétendent qu’ils détesteraient les Piémontais au bout d’un mois. Ils sont habitués à la licence, à l’impunité, à la paresse, au régime de la faveur, et se sentiraient mal à l’aise s’ils en étaient privés. En somme, ici quiconque est bien appuyé, bien apparenté, peut faire ce qu’il veut, pourvu qu’il ne s’occupe pas de politique. Les nouveaux tribunaux établis dans les Romagnes, à Bologne par exemple, ont dissous et puni des sociétés de voleurs qui trouvaient des receleurs dans la meilleure compagnie. Un paysan qui a tué son ennemi, mais dont le cousin est domestique d’un cardinal, en est quitte pour deux ans de galères ; il est condamné pour vingt ans, mais on le gracie par degrés, et il revient dans son village, où il n’est pas moins considéré qu’auparavant. Ce sont des sauvages, ils ne se soumettraient pas aisément à la contrainte de la loi. — D’ailleurs le sentiment moral leur manque, et s’ils ne l’ont pas, la faute n’en est pas toute à leurs chefs. Considérez les mauvais gouvernements allemands du siècle dernier, tout aussi absolus et arbitraires que celui-ci : les mœurs y étaient honnêtes et les principes sévères ; le tempérament des sujets atténuait les vices de la constitution ; à Rome, il les aggrave. L’homme ici n’a pas naturelle-