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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/355

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ainsi qu’une lande stérile. Vers l’orient se hérissent des montagnes âpres, où pèsent les nuées orageuses ; à l’ouest, on démêle Ostie et la mer indistincte, sorte de bande vaporeuse, blanchâtre comme la fumée d’une chaudière. À cette distance et de cette hauteur, les monticules qui bossellent la plaine s’effacent à demi ; ils ressemblent aux faibles et longues ondulations d’un océan morne. Point de cultures ; la couleur blafarde des champs abandonnés prolonge à perte de vue ses teintes effacées et ternes. Les grands nuages la tachent de leur ombre, et toutes ces bandes violacées, noirâtres, rayent les fonds roux, comme dans un vieux manteau de pâtre.

Hardiesse et franc parler, énergie sans gaieté de mon jeune guide. Il a dix-neuf ans, sait cinq ou six mots de français, ne travaille pas, vit de son métier de cicérone, c’est-à-dire de quelques pauls attrapés par raccroc. Rien d 'agréable, d’aimable ou de respectueux dans ses manières ; il est plutôt sombre et âpre, et donne ses explications avec la gravité d’un sauvage. Cependant, en qualité d’étrangers, nous sommes pour lui des seigneurs riches. On me dit que ces gens sont naturellement fiers, hautains même, disposés à l’égalité. À Rome, au bout de trois jours au café, un garçon entendant un étranger hasarder ses premières phrases italiennes, le toise, le juge, et dit tout haut en sa présence : « Cela va bien, il fait des progrès. »

On laisse à gauche la villa Mandragone, énorme ruine panachée d’herbes flottantes et de petits arbustes. À droite, la villa Aldobrandini ouvre ses avenues de platanes colossaux et de charmilles taillées, ses architectures d’escaliers, de balustres et de terrasses. À l’entrée, adossé contre la montagne, un portique revêtu de co-