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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/36

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devant la face du Dieu foudroyant, l’épanouissement du libre génie grec devant la beauté naturelle et heureuse, tous ces sentiments leur manquaient. Ils faisaient maigre le vendredi et peignaient un saint pour obtenir ses bons offices. Michel-Ange, en manière de récompense, reçut du pape je ne sais combien d’indulgences, à la condition de faire à cheval le tour des sept basiliques de Rome. Ils avaient de fortes passions, une énergie intacte, ils ont atteint la grandeur parce qu’ils sortaient d’une grande époque ; mais le vrai sentiment religieux, ils ne l’ont point eu. Ils ont renouvelé l’ancien paganisme, mais une seconde pousse ne vaut jamais la première. La petite superstition, la dévotion étroite sont venues vite déformer et affadir la puissante inspiration primitive. On n’a qu’à regarder la décoration intérieure pour voir vers quels vices ils penchent. Bernin a infesté l’église de statues maniérées qui se déhanchent et font des grâces. Tous ces géants sculptés qui se démènent avec des visages et des habits demi-modernes, et qui pourtant veulent être antiques, font le plus piteux effet. On se dit, en voyant cette procession de portefaix célestes : « Beau bras, bien levé. Mon brave moine, tu tends vigoureusement la cuisse. Ma bonne femme, ta robe flotte convenablement, sois contente. Mes petits anges, vous vous enlevez aussi lestement que sur l’escarpolette. Mes chers amis, vous surtout, les cardinaux de bronze, et vous, les vertus symboliques, vous êtes des figurants réussis qui posez pour l’expression dramatique. »

Je reviendrai : probablement aujourd’hui je suis injuste ; mais pour la sincérité du sentiment je suis sûr qu’elle manque. On se sent pris de mauvaise humeur devant ces danseurs sentimentaux que Bernin a rangés