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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/37

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en file sur le pont Saint-Ange. Ils veulent avoir l’air tendre ou coquet, et tortillent leur vêtement grec ou romain comme une jupe du dix-huitième siècle. Aucune de ces œuvres d’art n’est pure ; trois ou quatre sentiments contraires y viennent heurter leurs disparates. Le sujet est un personnage ascétique ayant pour occupation de jeûner et de donner les étrivières, et on lui donne un corps, un vêtement païens, toute sorte de traits qui expriment l’attache à la vie présente. Rien de plus déplaisant pour moi qu’un gril, un cilice, des yeux mystiques dans un vigoureux jeune homme, dans une jeune femme bien portante, qui, en somme, ne songent qu’à faire l’amour. Impossible ici de ressentir aucun des attendrissements, aucune des terreurs qui sont le propre de la cathédrale gothique et de la vie chrétienne ; l’édifice est trop doré, trop bien éclairé, les voûtes et les piliers ont une beauté trop forte. Impossible d’y trouver cette fraîcheur de sensations simples, cette sérénité riante, ce souffle d’éternelle jeunesse que l’on respire dans un temple antique et dans la vie grecque. Les croix, les tableaux de martyres, les squelettes d’or et le reste rappellent par trop d’emblèmes les mortifications et les renoncements mystiques. En somme, il n’y a ici qu’une salle de spectacle, la plus vaste, la plus magnifique du monde, par laquelle une grande institution étale aux yeux sa puissance. Ce n’est pas l’église d’une religion, mais l’église d’un culte.