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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/361

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effets du tempérament bilieux, des passions âcres excitées par le climat, de l’énergie barbare qui n’a pas d’emploi.

La marquise de C… nous dit qu’elle n’habite pas sa terre, on y est trop seul, et les paysans y sont trop méchants. Je me fais répéter ce mot, elle y insiste, et son mari de même. Tel cordonnier a tué son camarade d’un coup de couteau dans le dos, et après un an de galères est revenu au village, où il prospère. Un autre a tué à coups de pied sa femme enceinte. — On les condamne aux galères, parfois pour la vie ; mais plusieurs fois par an le pape accorde des réductions de peine : si on a quelque protecteur, on en est quitte, après un meurtre, pour deux ou trois années de bagne. On n’est point trop mal au bagne ; on y apprend un métier, et quand on revient au village, ou n’est point déshonoré ; même on est redouté, ce qui est toujours utile.

Je cite en regard deux traits qu’on me contait sur la frontière d’Espagne. Dans un combat de taureaux, une jolie dame espagnole voit à côté d’elle une Française qui met ses mains devant ses yeux à l’aspect d’un cheval éventré qui marchait dans ses entrailles. Elle hausse les épaules et dit : « Cœur de beurre ! » Un réfugié espagnol avait assassiné un marchand et n’avait pas une tache de sang sur ses habits ; le président lui dit : « Il paraît que vous êtes expert en fait de meurtre ? » L'homme répond avec hauteur : « Et vous, est-ce que vous vous tachez avec votre encre ? » — Trois ou quatre faits comme ceux-là montrent une couche d’humanité qui nous est tout à fait inconnue. Dans ces hommes incultes dont l’imagination est intense et dont la machine est endurcie par la peine, la force du ressort in-