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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/364

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lui, non comme devant un juge, mais comme devant un ennemi.

D’autre part, ces gens menteurs, cruels et violents comme les sauvages, sont stoïques comme les sauvages. Quand ils sont malades ou blessés, vous les voyez, la jambe cassée ou un coup de couteau dans le corps, s’envelopper dans leur manteau et demeurer assis sans rien dire, sans se plaindre, concentrés, immobiles à la façon des animaux qui souffrent ; seulement ils vous regardent d’un œil fixe et triste. C’est que leur vie ordinaire est dure et qu’ils sont habitués à la peine ; ils ne mangent que de la polenta, et il faut voir leurs guenilles. Les villages sont clair-semés : ils sont obligés de faire plusieurs milles, parfois trois lieues, pour aller travailler à leur champ. Mais tirez-les de cet état militant et de cette tension continue ; le fond généreux, la riche nature abondamment fournie de facultés bien équilibrées, apparaissent sans effort. Ils deviennent affectueux quand on les traite bien. Selon N…, un étranger qui agit loyalement trouve en eux de la loyauté. Le duc G…, qui a formé et commandé pendant trente ans le corps des pompiers, ne peut trop se louer d'eux. Pour la patience, la force, le courage, le dévouement militaire, il les compare aux anciens Romains. Ses hommes se sentent honorés, équitablement traités, employés à une œuvre virile ; c’est pourquoi ils se donnent de bon cœur et tout entiers. On n’a qu’à regarder dans la rue ou dans la campagne les têtes de paysans et de moines : l’intelligence et l’énergie y éclatent ; impossible de se soustraire à l’idée qu’ici la cervelle est pleine et l’homme complet. Stendhal, ancien fonctionnaire de l’Empire, raconte que lorsque Rome et Hambourg étaient des préfec-