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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/363

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ruser et de tromper leur ennemi ; pareillement ceux-ci trouvent naturel de tromper le juge. Dans l’état de guerre, la sincérité est une duperie ; pourquoi donnerais-je des armes contre moi à celui qui est en armes contre moi ? — N…, le pistolet à la main, avait sauvé la vache qu’on voulait supplicier. Quelques jours après, le soir, comme il était sur le pas de sa porte, il entend une grosse pierre siffler près de sa tête. Il s’élance, saisit un homme et le rosse ; ce n’était pas celui-là. Il va plus loin, rencontre deux frères ; l’aîné, qui avait lancé la pierre, devient livide, arme son fusil, couche N… en joue. N… saisit à plein corps le plus jeune et le présente comme un bouclier ; celui-ci, maintenu et manié par des bras d’athlète, ne pouvait bouger, mais grinçait des dents et criait à son frère : « Tire, tire donc ! » Survient le domestique de N… avec un fusil, et les deux coquins se sauvent. Notre ami porte plainte ; quatre assistants, dont un prêtre, tous témoins oculaires, jurent qu’ils n’ont pas vu l’homme qui a lancé la pierre. Là-dessus, N…, exaspéré et obligé de se faire respecter et craindre pour pouvoir vivre dans le village, donne une piastre à un voisin qui n’avait rien vu, et ce voisin désigne sous serment le gredin qui a fait le coup. — De la même façon, et bien plus aisément encore, on trouve au Bengale[1] vingt faux témoins à charge et à décharge dans le même procès. Les voisins jurent par complaisance les uns pour les autres, ou à tant par serment, et ce sont les mêmes causes qui entretiennent dans les deux pays les mêmes mensonges. De toute antiquité le juge ayant cessé d’être juste, on parle devant

  1. Voyez M. de Valbezen, les Anglais dans l'Inde.