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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/368

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des sacrifices nombreux, une attention active, une invention incessante ; il faut vouloir, faire effort, s’enrichir, s’instruire et entreprendre. Une transformation comme celle-ci ne se fait point sans tiraillements ni répugnances. Croyez-vous qu’un homme couché depuis dix ans, même dans des draps, sales et pleins de vermine, se trouve content, si tout d’un coup on le remet debout, si on l’oblige à se servir de ses jambes ? Il ne manquera pas de murmurer, il regrettera son inertie, il voudra se recoucher, il sera en peine de ses membres. Mais donnez-lui du temps, faites-lui goûter le plaisir de se remuer, d’avoir du linge propre, de boucher les trous de son taudis, d’y mettre des meubles acquis par son travail, et sur lesquels personne, ni voisin, ni fonctionnaire, n’osera porter la main : il se réconciliera avec la propriété, le bien-être, l’action libre, dont au premier instant il n’a senti que les gênes sans en comprendre les avantages et la dignité. Déjà dans cette même Romagne les ouvriers sont libéraux ; à Rome, en 1849, quantité de boutiquiers, de petits bourgeois allaient avec leur fusil aux fortifications et se battaient bravement. Que les paysans deviennent propriétaires, ils penseront de même. Les biens qu’on peut leur donner sont tout trouvés : avant les derniers événements, le clergé séculier et régulier des États romains possédait 535 millions de biens-fonds, deux fois plus qu’à la fin du dernier siècle[1], deux fois plus qu’aujourd’hui le clergé de France ; le gouvernement italien les vendra comme il fait déjà dans le reste de l’Italie. Ce sera là le grand levier. Le paysan romain, comme le paysan

  1. Le marquis Pepoli, Finances pontificales. En 1797. il n’avait que 217 millions.