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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/383

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et le reste. — Un habitué de l’église d’Aracœli raconte que pendant tout le carême les sermons ont uniquement roulé sur le jeûne et les mets défendus ou permis ; le prédicateur gesticule et marche sur un échafaud, décrivant l’enfer, puis tout aussitôt les diverses façons d’accommoder le macaroni et la morue, façons très-nombreuses et qui rendent inexcusables les gourmands qui font gras. — Ces jours-ci, sur le Corso, un charcutier avait arrangé ses jambons en forme de sépulcre ; au-dessus s’étageaient des lumières et des guirlandes, et l’on voyait dans l’intérieur un bocal où nageaient des poissons rouges. — Le principe est qu’il faut parler aux sens. L’Italien n’est pas accessible, comme l’Allemand ou l’Anglais, aux idées nues ; involontairement il les incorpore dans une forme palpable ; le vague et l’abstrait lui échappent ou lui répugnent ; la structure de son esprit impose à ses conceptions des contours arrêtés, un relief solide, et cette invasion incessante des images précises qui jadis a fait sa peinture, fait aujourd’hui sa religion.

Il faut se maintenir dans ce point de vue, qui est celui des naturalistes : toute mauvaise humeur s’en va, l’esprit se pacifie, on ne voit plus autour de soi que des effets et des causes ; les choses expliquées perdent leur laideur ; du moins on cesse d’y songer en contemplant les forces productives qui d’elles-mêmes, comme toutes les forces naturelles, sont innocentes, quoiqu’on puisse les employer au mal ou les tourner au bien. Même les injures et les violences intéressent : on éprouve la curiosité d’un physicien qui, ayant observé l’électricité, comprend l’orage, et oublie son jardin grêlé en vérifiant l’exactitude des lois qui l’empêchent d’avoir des fruits