Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

trale s’efface : on ne voit plus que des géants qui se tordent et qui s’élancent parmi des bouillonnements et des lueurs.

Les corniches des fenêtres, les vastes balcons saillants, les rebords sculptés des toits, rayent les murs de puissantes ombres. À gauche et à droite, on voit s’ouvrir des ruelles lugubres, béantes comme un antre ; çà et là se dresse le flanc noir d’un couvent qui paraît abandonné, quelque haute maison surmontée d’une tour qui semble un reste du moyen âge ; les lumières lointaines tremblotent misérablement, et les ténèbres s’épaississant semblent dévorer toute vie.

Rien de formidable comme ces énormes monastères, ces palais carrés, où pas une lumière ne brille, et qui se lèvent isolés dans leur masse inattaquable comme une forteresse dans une ville assiégée. Les toits plats, les terrasses, les frontons, les âpres formes enchevêtrées tranchent avec leurs fortes arêtes sur le ciel clair, tandis qu’à leurs pieds les portes indistinctes, les bornes, les tournants rampent dans l’ombre.

On avance, et tout reste de vie s’efface. On se croirait dans une ville abandonnée et morte, squelette d’un grand peuple soudainement anéanti. On passe sous les arcades du palais Colonna, le long des murs muets de ses jardins, et l’on n’entend plus, on ne voit plus rien d’humain ; seul, de loin en loin, au fond d’une rue tortueuse, dans la noirceur vague d’un porche qui semble un soupirail, un réverbère mourant vacille avec son cercle de lueur jaunâtre. Les maisons fermées, les hautes murailles allongent leur file inhospitalière comme une rangée d’écueils au flanc d’une côte, et au sortir de leur ombre, de grands espaces s’ouvrent tout d’un coup