Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/62

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rade, l’accuse d’avoir une maîtresse difforme, et décrit avec détails cette difformité. Quelle est la malheureuse qui peut avoir pour amant un pareil homme ? Je suppose qu’elle a perdu l’odorat. Dans tout le souterrain du Pausilippe et en général dans tout Naples, on a envie de se boucher le nez ; c’est bien pis en été, dit-on. Et cela est universel dans le Midi, à Avignon, à Toulon, comme en Italie ; on prétend que les sens des méridionaux sont plus délicats que ceux des gens du Nord ; réduisez cette prétention aux yeux et aux oreilles.

Nous allons voir un temple de Sérapis, où trois belles colonnes demeurent debout ; à l’entour sont des bains antiques, des sources sulfureuses ; toute la côte est pleine de débris romains. Les arcades des villas, les restes des celliers, les substructions maritimes font une chaîne presque continue. La plupart des riches de Rome avaient là une maison de campagne ; mais je ne suis pas aujourd’hui d’humeur archéologique.

J’ai tort, l’amphithéâtre surtout en vaudrait la peine. Les voûtes récemment dégagées de la terre sont toutes fraîches et semblent d’hier. Un énorme sous-sol servait de logement aux gladiateurs et aux bêtes. Le cirque tiendrait trente mille spectateurs. Point d’ancienne ville romaine de Metz à Carthage, d’Antioche à Cadix, qui n’ait eu le sien. Pendant quatre cents ans, quelle consommation de chair vivante ! Plus on regarde les cirques, plus on voit que toute la vie antique y aboutit ; la cité était une association pour la chasse et l’exploitation de l’homme ; elle a usé, puis abusé des captifs et des esclaves ; aux temps de sobriété, on a subsisté de leur travail ; aux âges de débauche, on s’est amusé de leur mort.