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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/66

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blanches ont roulé jusque dans les flots qui éternellement les assiégent. Sur la gauche, la montagne dresse à pic ses assises concassées, ses murs labourés d’entailles, ses saillies âpres, tout son échafaudage de dentelures qui semblent les ruines d’une ligne de forteresses crevassées et branlantes. Chaque arête et chaque bloc font une ombre sur l’uniformité de la muraille blanche, et toute la chaîne est peuplée de formes et de teintes.

Parfois elle est fendue en deux par une rainure, et sur les deux pentes du ravin les cultures descendent en étages. Sorrente est ainsi échelonnée sur trois tranchées profondes. Tous ces fonds sont des jardins où les arbres se serrent et s’entassent. Les noyers, que déjà la séve tourmente, étendent comme des mains noueuses leurs rameaux blanchâtres. Tout le reste est vert ; la mauvaise saison n’a point eu de prise sur ce printemps éternel. Entre les feuillages des oliviers, les orangers avancent leurs fortes feuilles luisantes ; leurs pommes d’or, par milliers, brillent au soleil parmi des raies de citrons paies. Souvent dans l’ombre des ruelles, sur la crête d’un mur, on voit affleurer leurs feuilles éclatantes. C’est ici leur patrie ; la terre les prodigue jusque dans les cours les plus pauvres, au pied des escaliers délabrés, épanouissant leurs têtes rondes illuminées par le soleil. Une vague senteur aromatique sort de toutes ces pousses vertes ; c’est un luxe de roi, et ici un mendiant l’a pour rien.

J’ai passé une heure dans le jardin de l’hôtel : c’est une terrasse sur le bord de la mer, à mi-côte ; un tel spectacle fait imaginer le bonheur parfait. Un jardin tout vert entoure la maison, peuplé de citronniers et d’orangers aussi chargés qu’un pommier de Normandie.