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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/72

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beau lieu pour délibérer et pour faire les sacrifices ! On aperçoit dans le lointain les grandes lignes des montagnes vaporeuses, les têtes tranquilles des pins-parasols, puis à l’orient, sous la brume blonde pleine de soleil, les formes fines des arbres et la diversité des cultures. On se retourne, et sans effort d’imagination on reconstruit ces temples. Ces colonnes, ces chapiteaux corinthiens, cette ordonnance simple, ces pans d’azur découpés par les fûts de marbre, quelle impression un pareil spectacle contemplé dès l’enfance devait-il laisser dans l’âme ! Une cité alors était une vraie patrie, et non comme aujourd’hui une collection administrative d’hôtels garnis. Que m’importent à moi aujourd’hui Rouen ou Limoges ? J’y ai un logis dans un amas d’autres logis ; la vie vient de Paris ; Paris lui-même, qu’est-ce, sinon un autre amas de logis, dont la vie vient d’un bureau où il y a des cartons et des employés ? Au contraire, les hommes ici faisaient de leur ville leur joyau et leur écrin ; l’image de leur acropole, avec ses temples blancs dans la lumière, les suivait partout ; les villages de notre Gaule, la Germanie, toute la barbarie du Nord, ne leur semblaient que cloaque et désordre. À leurs yeux, qui n’avait pas de cité n’était pas véritablement un homme, mais une demi-brute, presque une bête, bête de proie dont on ne pouvait faire qu’une bête de somme. La cité est une institution unique, le fruit d’une idée souveraine qui a régi pendant douze siècles toutes les actions de l’homme ; c’est la grande invention par laquelle il est sorti de la sauvagerie primitive. Elle a été à la fois le château féodal et l’église ; combien l’homme l’a aimée, comme il y a rapporté et enfermé toute sa vie, aucune parole ne