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Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/99

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au retour desquels il se jeta dans le parti de Monsieur, et fut tué au combat où M. de Montmorency fut pris[1].

J’ai ouï conter à Venise qu’une célèbre courtisane lui voulut faire payer la qualité, et que, pour l’attraper, il fit dorer des réales d’Espagne qui ressemblaient à des pistoles ; ils étoient convenus à trois cents. Les nobles vénitiens ne trouvèrent cela nullement bon ; il en pensa arriver du désordre. Ils disoient : « Ne pouvons-nous point être princes à meilleur titre que lui, en devenant doges, et ne descendons-nous pas presque tous de princes, puisqu’il n’y a guère de familles nobles qui n’aient eu un doge ? »

Henri IV se refroidissant, madame de Moret s’avisa de faire la dévote. Elle n’avoit que du linge uni, une grande pointe, une robe de serge, les mains nues : c’étoit pour les montrer, car elle les avoit belles. Jusque

    M. de Moret fit ce qu’il put pour la fléchir, mais il s’en alla enfin, et ne lui en voulut aucunement.

    Un jour, chez madame des Loges, il jugeait de bien des choses d’esprit en jeune homme de qualité, Gombauld lui fit cette épigramme :

    Vous choquez la nature et l’art,
    Vous qui êtes né d’un crime ;
    Mais pensez-vous que d’un bâtard
    Le jugement soit légitime ?

    Il étoit d’une comédie que les enfants d’Henri IV jouèrent ; il n’y eut que lui qui fit bien. (T.)

  1. Au combat de Castelnaudary. L’opinion que le comte de Moret fut tué sur le champ de bataille, ou mourut de ses blessures quelques heures après, est la plus générale. D’autres cependant ont cru qu’ayant été pansé secrètement et guéri de ses blessures, il passa en Italie, se fit ermite, parcourut divers pays sans se faire connoître, vint enfin prendre retraite à l’ermitage des Gardelles, près de Saumur, sous le nom de frère Jean-Baptiste, et y mourut le 24 décembre 1692. Cette version sent bien le roman.