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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/253

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passage rythmique du rire aux larmes, du grave au doux, par les antithèses d’objets attrayants et répugnants, aimables ou odieux, qu’il fait passer sous nos yeux, l’artiste ne vise qu’à mettre en relief une expression caractérisée, vivante, unique en soi, source pure où se désaltère le sentiment cultivé du beau.

Doit-on voir dans le sentiment du sublime le produit d’une opposition de sentiments combinés ? Non. Les sentiments qui se combinent en lui sont contrastants, mais non précisément contraires. Subjectivement, le sublime est un contraste d’effroi et de ravissement simultanés, de terreur et d’admiration ; objectivement, il est un contraste de laideur et de grandeur. On juge sublime une chose qu’on jugerait laide si elle était petite. On juge laide une chose qu’on jugerait sublime si elle était grande. Supposez un petit ravin, un trou de taupe, agrandi aux dimensions d’une gorge alpestre, d’un cratère volcanique, cela approche de la sublimité. Supposez un Napoléon lilliputien, insulaire, en réduction : ce petit être rageur et agité sera grotesque. Le rire s’oppose-t-il au sentiment du sublime, comme on le croit généralement ? Oui, mais en ce sens seulement que l’un est une surprise admirative, et l’autre une surprise méprisante, et qu’ils s’opposent, par suite, comme l’admiration et le mépris. Il y a toujours, au fond du rire, un plaisir de vanité, et, au fond du sublime, une peine d’humilité impliquée dans l’admiration de la force d’autrui. Le beaucoup plus grand et le beaucoup plus petit que nous, le beaucoup plus fort et le beaucoup plus faible, le beaucoup plus intelligent et le beaucoup moins intelligent que nous, etc., nous donnent l’impression