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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/271

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de la douleur et une douleur du plaisir, mais ils les étudient presque exclusivement dans la vie individuelle, soit normale, soit pathologique. C’est pourtant dans la vie sociale que ces phénomènes atteignent leur plus haut point de clarté et d’intensité ; et c’est par la comparaison avec la vie sociale que ces faits, sous leur forme individuelle, s’éclairent et s’expliquent. — À propos des plaisirs destructeurs[1] de l’individu (ceux de la boisson chez l’alcoolique, de l’amour chez le phtisique, du suicide aussi chez certains aliénés), M. Ribot dit très bien que, chez ces sujets comme chez les normaux, le plaisir est causé par un accroissement d’activité vitale, mais que cet accroissement senti est lié à une déperdition de forces qui est supérieure et qu’on ne sent pas. Il en est de ces plaisirs, dirai-je, comme de ces brillantes fêtes de cour qui, pareilles en cela à toutes les fêtes, sont liées à un afflux de richesse momentané là où elles se produisent, chez les courtisans, et à un appauvrissement du reste de la nation[2].

  1. Il y a aussi des joies destructrices de la personne morale et sociale : les joies de la méchanceté, de renvie, du mépris, du vice.
  2. Plus justement encore ou comparerait les effets physiologiques du plaisir et de la douleur en général aux effets sociaux du bien et du tnal. Ces effets physiologiques, surexcitation ou dépression des forces vitales, dilatation ou rétrécissement des artères, etc., correspondent à ces effets sociaux, augmentation ou diminution de la richesse, de la population, de la puissance, tendance à la prospérité ou à la ruine. Seulement nous connaissons bien mieux le comment (tout logique et téléologique) de ces phénomènes sociaux que celui des phénomènes vitaux correspondants. Et, en outre, ils nous permettent de voir à quoi tiennent les exceptions réelles ou apparentes que présente la règle indiquée. Car il peut se faire que bien des actions jugées bonnes soient accompagnées d’un déchet de l’intérèt général, de même qu’un plaisir produit parfois une déperdition de forces, même immédiate. Mais nous savons la cause de la première de ces deux exceptions : c’est que beaucoup de nos vertus survivent à leur raison