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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/420

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la paix armée des États. Est-elle inévitable pourtant, cette lutte formidable et inexpiable, le plus colossal des fratricides que la terre aura jamais vus ? Non, pas plus que l’autre ; et, ici comme là, notre avenir est entre nos mains. Mais là, comme ici, le plus grand danger peut-être provient de la fatale magie exercée par l’idée d’opposition, par l’hallucination que nous avons vue si souvent entraîner le monde, en vue du progrès, à des guerres toujours suivies d’une rétrogradation momentanée ou durable. Je ne vois pas pourquoi les apologistes de la guerre, prôneurs de ses vertus civilisatrices, n’élèvent pas la voix pour célébrer aussi l’utilité, la nécessité bienfaisante de la guerre sociale où l’on dit que nous courons. Mais, s’ils ne le disent pas tout haut, ils le pensent tout bas, et, c’est cette sombre erreur qu’il s’agit de tuer dans l’œuf, comme le plus venimeux des reptiles. Car on est enclin, par de paresseuses habitudes d’esprit, à juger nécessaire ce qu’on voit probable[1], et à juger bienfaisant ce qu’on croit nécessaire ;

  1. Bien que tout le monde soit d’accord pour dire que l’avenir est un mystère impénétrable et que tout essai de prédiction est insensé, il n’est point d’époque où Ton s’abstienne de prophétiser, je ne dis pas seulement où fassent défaut les prophètes isolés, mais où la généralité des hommes ail la prudence de ne pas prédire les événements futurs. En effet, toute nation, en tout temps, s’est attenduCy avec une conviction plus ou moins sourde, à quelque c^ioso d’important qui lui parait à la veille de se réaliser. Quand ce n’est pas au jugement dernier, comme au moyen ;\ge, c’est h. une révolution sociale, comme dfi nos jours ; et, certainement, la peur de Tan mille — en partie imaginée après coup — n’a jamais eu au xe siècle l’importance et la généralité de la foi de nos contemporains en une catastrophe socialiste. — D’autres peuples et d’autres temps, plus heureux, ont cru à Tarrivée prochaine d’un Messie, d’un Sauveur, à une Restauration monarchique et triomphante ou bien à un Paradis terrestre tel que celui qui éblouissait l’imagination de nos aïeux de 1789. Quant aux sociétés assises et stables, telles que la société française sous Louis XIV ou sous saint Louis, elles ont cru, elles, à la durée étemelle de leur