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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/422

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et les audacieux triomphaient. On peut s’attendre à ce qu’après bien des batailles ou bien des émeutes, tout ce qu’il y a de plus véreux dans notre ploutocratie actuelle, s’étant rallié à temps aux vainqueurs et les ayant aidés de sa bourse, surnagera et se retirera de la lutte plus fort que jamais, tandis que les soldats obscurs et dévoués de l’un et de l’autre camp, prolétaires ou propriétaires, couvriront le sol de leurs dépouilles ou de leurs cadavres. Puis, en admettant même qu’il n’en soit pas ainsi, ce qui est pourtant attesté par l’expérience des révolutions, une chose au moins est hors de doute, c’est que la lutte, comme toute lutte, aurait pour effet d’arrêter cette extension continuelle du cercle social, dont je parlais tout à l’heure, cette inondation lente et vraiment bienfaisante qui tend à fondre ensemble les strates superposées de la société, qui a successivement supprimé, en les assimilant, l’esclavage antique, le servage féodal, et travaille maintenant à effacer les dernières démarcations inégalitaires. Un rétrécissement du champ social : voilà ce qu’on verra sûrement à la suite des grandes guerres du Prolétariat et du Capital. Il s’ensuivra une telle accumulation de haine et de vengeance dans le cœur des vaincus, quels qu’ils soient, que les vainqueurs, fussent-ils même généreux, seront forcés, par le souci le plus élémentaire de leur sécurité, de les traiter toujours en ennemis, de les soumettre à une condition d’infériorité et d’oppression, seule garantie de leur innocuité. Si l’esclavage antique n’est pas rétabli de nom, il le sera de fait comme il l’a été, — en des circonstances pareilles, au degré près - dans plusieurs cités grecques de l’Antiquité.

— Une chose peut nous rassurer : l’évolution historique