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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/235

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regard du dompteur sur la bête farouche, qu’il subjugue ; que ne pourra ce même œil, quand Satan lui aura prêté toute son astuce, toute sa force et toute sa malice !… Aussi, dit-on généralement des sorciers qu’ils ont le mauvais œil ; les Irlandais appellent les sorciers Eye bitters, « ceux qui mordent avec l’œil. »

Quelques psychologues et physiologistes sont allés jusqu’à soutenir que la nature a pu donner à quelques-uns le pouvoir de faire mourir par là vue. Mais ceci est de la haute fantaisie, puisque Satan lui-même n’a pas le pouvoir de tuer un homme par son regard, ni autrement.

« La fascination, dit très bien Le Loyer[1], célèbre orientaliste et conseiller du présidial d’Angers, ne procède d’autre que du diable charmeur, et non de la puissance de l’âme, à qui cela n’est octroyé. Car pour y avoir des fascinations naturelles provenantes de sympathie ou antipathie, ou autres causes dont la raison s’en peut tirer de la nature, si est-ce qu’il restera ce point à examiner si aucunes fascinations qui procèdent des yeux, et desquelles on ne peut bailler raison, se font naturellement ou supernaturellement. Et je maintiens que ce qu’en disent les philosophes naturalistes pour les faire venir de la nature n’est suffisant ni décisif. Fracastor prétend qu’il y a des hommes dont les yeux ne lancent naturellement que pur venin. Qui sont ces personnes-là ? Je les leur dirai : ce sont les personnes qui ont contracté alliance avec le diable. »

C’est, du reste, la doctrine unanime de l’Écriture sainte et des Pères.

« La fascination, dit la Sagesse, iv, 12, ternit les choses bonnes. » — « Ce qui souille l’homme, c’est ce qui sort de l’homme ; car c’est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les homicides, les méchancetés, l’œil mauvais. » (Saint Marc, vii, 20, 22.) — « À ce vice de fascination, dit saint Jérôme, les diables coopèrent et aident le fascinateur. »

Du reste, tous les personnages compétents qui ont étudié cette question sont d’accord pour reconnaître qu’on ne saurait attribuer à une cause naturelle les phénomènes de fascination qui, par leur étrangeté, leur malice particulière, ou le mal profond qu’ils causent, dépassent évidemment les forces de la nature. S’il y a eu, comme cela est rapporté par des historiens, des familles entières en Afrique, en Italie, en Styrie et ailleurs qui faisaient état de nuire par leur regard, qui peut douter que ces gens-là ne fussent de vrais sorciers, dans l’œil de qui passaient les flammes mêmes de l’enfer ?

Les maléfices attribués au mauvais œil des sorciers remontent à la plus haute antiquité. On les rencontre chez les Chaldéens, au septième siècle avant Jésus-Christ. Le savant Lenormant, dans son livre sur la Magie des Chaldéens, a traduit une longue incantation provenant de la bibliothèque du palais royal de Ninive, où, au milieu de vingt-huit formules déprécatoires,

  1. Quatre livres des Spectres ou Apparitions.