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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/118

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chekooulah, enfin devant le palais du roi d’Aoude, touchant à la propriété des Messageries Maritimes.

Il pouvait être, maintenant, huit heures du soir. Un vent d’orage soufflait, et des éclairs brillaient. Dans la campagne, là-bas, mélangés aux derniers croassements des corbeaux, les cris des chacals s’entendaient, aussi loin que l’ouïe pouvait s’étendre, sans compter les hurlements des Indiens chassant les mauvais esprits. Puis, un bruit de grelots retentit, tandis qu’une ombre glissait à côté de nous, frôlant la voiture ; c’était notre messager que nous rattrapions, pour le dépasser bientôt.

Nous arrivâmes, enfin, à Mahatalawa, une des villes mortes si nombreuses dans l’Inde, et dont la population est aujourd’hui disparue ; siège jadis d’une dynastie régnante, et à présent en ruines. Nous nous trouvâmes au centre d’un paysage d’une austère grandeur.

Nous nous arrêtâmes brusquement, et Cresponi, qui avait dormi et ronflé tout le long de la route, se réveilla. Nous étions en présence d’un énorme rocher surplombant, dont l’équilibre instable semblait ne tenir que par un miracle. Un peu plus loin était une montagne de gneiss, haute de 500 pieds, longue de 2,000, complètement isolée, avant, dans cette vaste solitude, le faux air d’une monstrueuse baleine qui se serait échouée sur une plage.

— Ici, nous sommes chez nous, me dit Cresponi, en descendant, d’un saut, de la voiture.

Je l’imitai. J’avais à peine mis pied à terre, qu’un Indien vint à nous, sortant de derrière un rocher où il se tenait sans doute en faction. Cresponi et moi, nous lui donnâmes l’attouchement luciférien (poignée de main en accrochant les doigts en griffe), et il se mit à notre disposition.

Ayant su par mon collègue que j’étais français, il s’exprima dans ma langue, qu’il parlait assez correctement ; ce n’était pas, à coup sûr, un homme du vulgaire ; mais, en fait de fanatisme, il en avait à revendre à tous ses compatriotes.

— Frère, commença-t-il en s’adressant à moi, ici une ville populeuse s’est effondrée il y a des siècles. Cette catastrophe est un crime du Dieu Mauvais contre l’humanité qu’il déteste ; les habitants étaient des justes, des vertueux, des adorateurs de Brahma-Lucif. Plus d’un million d’âmes, subitement arrachées à leurs corps qui reposent enfouis dans cette terre, ont erré ici pendant d’innombrables années, et nous les avons, nous et nos aïeux, délivrées une à une de la possession de la divinité malfaisante, Civa-Adonaï. Aujourd’hui, elles sont entrées enfin dans le sein du Dieu Bon, qui seul règne ici.

Je regardai autour de moi. De ville souterraine il n’y avait plus aucune trace ; les amoncellements de sable et de terre, qui en occupent l’empla-