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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/138

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renforcement de la voix, espaçant la musique comme en une série de couplets séparés seulement les uns des autres par des tous plus bas, les danseuses rétrécissaient leur cercle autour de Saoundiroun, l’enserrant de façon à ne plus former qu’un bloc, qu’une masse vivante qui tournoyait.

Il s’agissait de ne point perdre de vue les dévadasis. Le frère Hobbs venait de me souffler à l’oreille que Saoundiroun, la danseuse du milieu, au moment où elle s’arrêterait net, disparaîtrait instantanément.

Le grand-maître, cependant, et ses acolytes de l’orient, chantaient plus fort, trépignant, eux aussi, tournant sur place, comme pris de vertige, de folie. Maintenant, ils criaient, en notes aiguës, stridentes, et les danseuses se serraient encore davantage, se tenant non plus par les mains, mais à la taille, s’enlaçant, tandis que Saoundiroun commençait à hurler d’une voix lamentable, qui donnait le frisson. Soudain, on l’entendit pousser un cri plus violent, comme celui de quelqu’un qui serait sur le point d’être étranglé ; puis, un râle étouffé lui succéda ; puis, encore un cri, sec, bref, terriblement perçant ; et la jeune fille s’arrêta net. Ses six compagnes, au même instant, venaient de s’écarter, et elles laissaient vide le milieu, le centre de la plate-forme, où Saoundiroun n’était plus.

Disparue, évaporée !… Cela tenait du prodige.

J’écarquillais mes yeux. Rien n’avait bougé dans le temple, où les lampes à onze branches éclairaient jusqu’aux recoins ; pas une ombre n’avait été aperçue se faufilant ni dans le sol ni dans l’air… En tout cas, s’il y avait eu jonglerie, elle avait été merveilleusement exécutée… Mais jonglerie pourquoi ? me demandai-je, pour tromper qui ?… Ces gens-là se croyaient évidemment entre frères du même culte luciférien… Alors ?…

— Saoundiroun, notre sœur, fit le grand-maître dans un profond silence, est allée à celui que nous adorons. Gloire à lui !

Gloria in excelsis Deo ! répondit l’assemblée.

— À nous, maintenant, mes frères ! continua l’officiant. Où est le saint que nous attendons ?

Trois coups vigoureux ébranlèrent les portes du temple.

— Me voici ! clama une voix.

Les portes s’ouvrirent de nouveau, et je vis s’avancer l’homme qui s’était ainsi annoncé.

C’était un fakir. Familiarisé à présent, je le reconnus au premier coup d’œil. Grand et démesurément maigre, la tête entièrement chauve, avec une longue barbe blanche pointue qui lui descendait jusque sur la poitrine, il marchait d’un pas lent et en pirouettant sur lui-même, les bras étendus, en un rythme balancé.