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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/175

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Cette démarcation qui existe entre les lucifériens et les satanistes est nécessaire à constater ; les deux cultes, qui en sont la conséquence, ne se ressemblent pas, du reste. Mais il est utile de dire aussi que le roi des enfers se manifeste indistinctement à ses fidèles de l’une et l’autre catégories ; son but étant d’avoir avec lui le plus grand nombre possible d’âmes, dans l’abîme éternel où Dieu l’a plongé à la suite de sa révolte, il accepte avec satisfaction les hommages à lui rendus, à n’importe quel titre, ces hommages étant vers la damnation un pas décisif et presque irrévocable.

Il ne faudrait pas pourtant conclure que la satisfaction et l’orgueil qu’il éprouve à voir ces égarés, ces grands coupables, se donner à lui, le déterminent à apparaître chaque fois qu’il est appelé par eux. Les occultistes de toute école sont d’accord pour reconnaître que rien n’est plus variable que le caprice des esprits évoqués ; les rituels d’Albert Pike, notamment, témoignent que, dans un triangle palladique, on n’est jamais sûr, même si dans l’assemblée se trouvent les sept hiérarques indispensables, d’obtenir la venue de l’esprit suprême du feu ; il n’y a, affirment les membres du Grand Collège des Maçons Émérites, d’apparition régulière de Lucifer qu’au « Sanctum Regnum » de Charleston, tous les vendredis, à trois heures de l’après-midi, ainsi que je l’ai dit plus haut en reproduisant textuellement les paroles du frère Walder, un des onze qui ont seuls droit de tenir séance en ce lieu exécrable où ils ont la garde du premier Baphomet ou Palladium original.

Par contre, il est acquis que Lucifer apparaît en certaines occasions et alors même qu’il n’a pas été évoqué ; bien entendu, une apparition inopinée, de ce genre, se produit lorsque la réunion au sein de laquelle elle a lieu constitue un milieu où la présence du prince des démons est sympathique.

Cresponi, au nombre de ses confidences, m’a raconté une de ces apparitions spontanées, inattendues, non provoquées par des évocations, laquelle eut lieu dans une circonstance qu’on peut qualifier d’historique ; il tenait le fait de la bouche même d’une des personnes qui en furent témoins, et il m’a nommé cette personne ; c’est le docteur Timoteo Riboli, le bien connu médecin de Garibaldi et l’un des chefs secrets de la haute maçonnerie italienne.

Ceci s’est passé à Milan, en juillet 1870, peu de jours après que la guerre venait d’éclater entre la France et la Prusse. À cette époque, les francs-maçons occultistes de la péninsule se réunissaient dans les aréopages de Kadosch du rite écossais ou entre eux à domicile, c’est-à-dire sans agir sous la direction centrale de Charleston ; car le général américain Albert Pike n’avait pas encore organisé le Rite Palladique Réforme Nouveau.