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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/176

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Il est important de faire remarquer que, dans la circonstance en question, il ne s’agissait nullement d’une réunion rituelle, bien que tous les assistants appartinssent à la franc-maçonnerie des hauts grades et fussent initiés à l’hermétisme. C’est en secret qu’ils s’étaient rendus dans l’ancienne capitale de la Lombardie, pour s’y rencontrer rapidement, à un rendez-vous politique avant tout, le docteur Riboli, le général Cadorna, le colonel Francesco Cucchi et douze autres ennemis jurés de la Papauté, qui voulaient échanger leurs vues et prendre des résolutions immédiates au sujet des éventualités dont le conflit franco-prussien pouvait amener la naissance. À ce moment, le premier choc des armées française et allemande n’avait pas eu lieu ; mais il paraissait prochain ; des deux côtés, les troupes ennemies se dirigeaient vers la frontière.

Les quinze sectaires italiens, dont quatre appartenaient à la gauche du Parlement, étaient donc venus à Milan dans le plus rigoureux incognito et s’étaient réunis, non au local maçonnique, mais au domicile d’un frère, initié occultiste comme eux, et dont la maison était située à proximité de la Porta-Venezia. Ils discutèrent longuement, formulant, au cours de leur dialogue, diverses motions que n’eussent pas reniées les pires révolutionnaires, et les entrecoupant d’horribles impiétés ; tout cela, en fumant de ces fameux et si mauvais cigares du pays, pour allumer lesquels un brasier spécial est toujours en permanence.

Lors d’une halte dans la discussion, Cadorna, avisant un menu morceau de pain qui traînait sur une table, le prit, et, par dérision digne d’un apostat, se mit à parodier le prêtre consacrant l’hostie, en prononçant même les paroles sacramentelles ; puis, il jeta le morceau de pain dans le brasier.

Cucchi dit alors à Cadorna :

— Ce morceau de pain doit être maintenant devenu le corps du Christ, puisque tu l’as consacré… Eh bien, certes, puisqu’il brûle à présent dans ce feu, qu’il représente, mes chers amis, notre hommage à Lucifer !

— Oui, firent les autres, que Lucifer reçoive notre hommage par ce symbole !

À l’instant même, d’après ce qu’a raconté le docteur Riboli, le plancher s’entr’ouvrit, et Lucifer en personne parut dans une gerbe de flammes.

Il se borna à parcourir d’un regard d’ensemble les quinze francs-maçons, surpris, mais non effrayés de cette apparition soudaine ; puis, il prononça ces simples paroles, d’une voix brève :

« — Le moment est venu de tirer le troisième coup de canon. »

Aussitôt, les flammes l’enveloppèrent, en tourbillonnant, et s’évanouirent avec lui.