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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/182

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Puis, sur le rivage, au moment où un poisson des plus étranges, l’anabas, sort de l’eau pour s’amuser à terre, joue avec un autre, le poursuit en sautant, grimpe comme un chat le long d’un mur ou sur un arbre, prend un bain d’air et de soleil, derrière lui, dans l’ombre, une fleur vraiment diabolique, la drosera, qui n’a ni tige, ni feuilles, ni rameaux, se glisse silencieusement, guette le poisson promeneur, bondit sur lui, le pourchasse, enfin l’attrape pour le dévorer.

Dans la lutte entre la plante et l’animal, c’est ce dernier qui est la proie.

Mais tout cela n’est rien encore. Alors que la plante ressemble à l’animal, ce dernier ressemble à l’homme ; le singe y vit en être civilisé, parle, s’exprime, et l’homme vit à l’état sauvage, crie et ne parle pas ; le singe y est omnivore, l’homme exclusivement anthropophage ; le singe a la peau glabre, l’homme est couvert de poils et possède une griffe au lieu de main. Le singe, en définitive, ressemble à quelque chose, à une créature ; l’homme, le négrito, le Malais, ne ressemble à rien d’humain.

Quoi de plus curieux que ce bouleversement général des œuvres de la création ? et n’est-il pas permis de se demander, sans oser ni vouloir conclure, comment et pourquoi ces choses extraordinaires, invraisemblables, contre l’ordre naturel qui règne partout ailleurs, se trouvent réunies en ces régions où le souverain des âmes est Satan, asservissant les populations par le brahmanisme, le fakirisme et toutes les idolâtries ?

Passons, j’ai hâte de montrer comment s’y comporte l’homme, et surtout comment l’Européen, l’homme soi-disant civilisé y agit et y vit.

Singapore est un peu comme Port-Saïd, un égout ; égout humain, j’entends. Tout ce qui a fini de bien faire en Europe se réfugie à Port-Saïd, de même que tout ce qui a fini de bien faire en Asie trouve asile et protection à Singapore.

C’est encore un territoire anglais, et là, comme dans toutes les colonies du royaume britannique, les gredins, les chenapans, les scélérats des plus diverses espèces, les criminels qui ont réussi à échapper aux recherches de la police de leur pays, les condamnés par contumace, les forçats en rupture de ban, les assassins, y ont élu domicile et y trafiquent, au profit du grand peuple sans scrupules et de sa très gracieuse majesté. Oh ! non, ils ne sont pas difficiles à cet égard, messieurs les Anglais. L’Australie et les Indes sont ainsi peuplées de sacripants qui, digérant en paix le produit de leurs crimes, ont acquis un vernis extérieur de respectabilité, plus ou moins solennelle, mais impuissante à dissimuler leurs vices devenus pour eux une seconde nature. Le baronet actuel y descend du voleur, le marquis du faussaire, le duc du chourineur ; quant au négociant